DÉCRYPTAGE

Les « yes men » du président

NEW YORK — La nouvelle est passée largement inaperçue durant l’une des semaines les plus chaotiques de la présidence de Donald Trump. Malgré un avis contraire émanant du ministère de la Justice, Matthew Whitaker, procureur général des États-Unis par intérim, a décidé de ne pas se récuser de l’enquête russe menée par le procureur spécial Robert Mueller.

Avant de décrocher un premier emploi au sein de l’administration Trump, en septembre 2017, Matthew Whitaker avait pourtant dénigré cette enquête dans plusieurs textes d’opinion et interventions télévisées. Il avait même employé une des expressions préférées de Donald Trump pour en parler : « chasse aux sorcières ». En tenant compte de ces déclarations, un responsable des questions d’éthique à la Justice l’a informé récemment qu’une décision de se récuser serait appropriée pour éviter une « apparence de conflit d’intérêts ».

Mais Matthew Whitaker a ignoré cet avis. À l’évidence, il ne veut pas revivre le calvaire de son prédécesseur, Jeff Sessions, dont la récusation de l’enquête russe lui avait valu d’être critiqué sans relâche par le président. Mais sa décision a troublé certains juristes américains et tous les démocrates du Congrès.

« Le refus de M. Whitaker de se récuser est une attaque contre l’État de droit et le système de justice américain, mais cela correspond sans doute à ce que voulait le président Trump – un “yes man” amoral qui fera toutes ses volontés plutôt que ce qui est juste », a dénoncé Chuck Schumer, chef de la minorité démocrate au Sénat.

Le lendemain, Jim Mattis, un des derniers – et peut-être le dernier – membres de l’administration Trump à avoir refusé d’être réduit à un rôle de « yes man », démissionnait. Le secrétaire à la Défense a expliqué sa décision dans une lettre exposant ses profonds différends avec le président et sa doctrine de l’Amérique d’abord. « La force de notre nation est inextricablement liée à la force de notre système unique et complet d’alliances et de partenariats », a-t-il écrit.

À en croire Fear, le plus récent best-seller de Bob Woodward, le général à la retraite a freiné quelques-uns des élans les plus impulsifs ou dangereux de Donald Trump. Il a ainsi peut-être évité aux États-Unis un conflit militaire en empêchant le président d’annoncer sur Twitter l’évacuation des familles des 28 000 soldats américains déployés en Corée du Sud.

Un tel tweet aurait pu être interprété comme une déclaration de guerre par la Corée du Nord, selon Jim Mattis. Son remplaçant osera-t-il dire non au président ?

Un président « furieux » et « agité »

Le New York Times a publié ce week-end un long article décrivant un président convaincu d’être entouré d’une bande de « fucking idiots », une expression crue qu’il formulerait souvent à voix haute en présence des personnes visées. « Furieux que [ses conseillers] lui résistent, indifférent aux détails de leurs breffages, il devient particulièrement agité lorsqu’ils lui disent qu’il n’a pas le pouvoir de faire ce qu’il veut, ce qui lui fait soupçonner qu’ils tentent secrètement de l’affaiblir », écrit le quotidien.

Si cette description reflète la réalité, elle n’est pas exactement nouvelle. Au début du mois, Rex Tillerson brossait un portrait semblable de ce président « plutôt indiscipliné, qui n’aime pas lire, qui ne lit pas les rapports, qui n’aime pas aller dans le détail dans de nombreux domaines ».

Mais l’ancien chef de la diplomatie américaine apportait une précision inquiétante sur la différence entre son système de valeurs et celui du président : « Il fallait que je lui dise : “Monsieur le Président, je comprends ce que vous voulez faire, mais vous ne pouvez pas le faire de cette façon-là – ça enfreint la loi, ça viole un traité”. Ça le contrariait beaucoup. »

Rex Tillerson a été remplacé par Mike Pompeo, qui a défendu sans broncher la position inqualifiable de Donald Trump concernant l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Il y a plus d’une semaine, Mike Pompeo et Jim Mattis ont tenté de convaincre le président de se montrer ferme à l’endroit de son homologue turc Recep Tayyip Erdoğan, qui menaçait de lancer une attaque contre les troupes kurdes, alliées des États-Unis, en Syrie.

Le secrétaire à la Défense a démissionné après la capitulation de Donald Trump face au président turc. Le chef du département d’État, lui, est toujours en poste.

Il en va de même pour Mick Mulvaney, qui succédera en janvier à John Kelly en tant que chef de cabinet de la Maison-Blanche. Cet ancien représentant républicain de Caroline du Sud a été embauché en février 2017 à son poste actuel – directeur du Bureau de la gestion et du budget – même s’il avait traité Donald Trump de « personne horrible » en octobre 2016. Quelques mois auparavant, il avait déjà qualifié de « simpliste », « absurde » et « presque enfantine » l’idée du candidat républicain à la présidence de construire un mur le long de la frontière avec le Mexique.

Aujourd’hui, en bon « yes man », Mick Mulvaney défend ce mur et ce président. Néanmoins, dans son isolement plus prononcé que jamais, Donald Trump le considère peut-être comme un « fucking idiot ».

Trump renvoie son secrétaire à la Défense plus tôt que prévu

Irrité par les critiques du secrétaire à la Défense Jim Mattis et par les répercussions de sa démission, le président Donald Trump a mis le chef du Pentagone à la porte hier, soit deux mois plus tôt que prévu. Dans une série de messages sur Twitter, M. Trump a même semblé se questionner sur les raisons qui l’avaient mené à inclure M. Mattis dans son cabinet et a annoncé que le secrétaire adjoint à la Défense, Patrick Shanahan, assurerait l’intérim à compter du 1er janvier. Ce revirement empêchera Jim Mattis d’influencer davantage la politique des États-Unis en matière de sécurité nationale et d’apaiser les tensions avec certains alliés du pays, ce qu’il aurait pu faire s’il avait quitté ses fonctions à la fin du mois de février comme prévu. Cela témoigne aussi du grand mécontentement de la Maison-Blanche à l’égard de la lettre de démission cinglante de l’ancien membre de la marine, qui a présenté la missive à Donald Trump jeudi.

— La Presse canadienne

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